There's a reckoning a-coming
Le soleil disparaît peu à peu dans une traînée de rouge et d’or à l’horizon. C’est le moment où la population nocturne de Tapioca s’éveille. Les tavernes s’animent et se font progressivement plus bruyantes, les pirates vont rejoindre les bras des prostituées, les ruelles deviennent plus que jamais des coupes gorges. Pour détestable que cet endroit puisse lui être, Jones n’en est pas moins devenu un habitué. Il reconnaît la plupart des visages qu’il croise, et peut mettre un nom sur la grande majorité d’entre eux. Il ne se mêle pas aux autres, pourtant. Il ne fait jamais qu’observer de loin tout en laissant trainer ses oreilles. Il connaît bon nombre d’anecdotes sur bon nombre de personnes, dont certaines lui permettent parfois d’assurer de plaisants pactoles pour rester tues. Il faut bien vivre. Entre le crépuscule et l’aube, la ville crache ses secrets pour tous ceux qui savent écouter. Ce n’est pas exactement comme si Jones avait mieux à faire. Il n’est pas aisé de retomber sur ses pieds lorsqu’on a tout perdu, mais Tapioca est l’endroit idéal pour tenter sa chance et guetter les opportunités. Ce n’est qu’une question de patience. Pas que Jones en ait à revendre, mais faute de choix, il attend. Son heure viendra.
Un nouvel esclandre se profile. Fatigué de voir les mêmes abrutis se donner en spectacle de la même façon chaque soir et sentant la migraine poindre, Jones fuit l’atmosphère déjà trop échauffée de la taverne. La rue est à peine plus silencieuse, mais l’air est plus frais, l’odeur de l’alcool moins entêtante. Dieu, qu’il déteste chaque jour qu’il perd dans ce misérable endroit. Chaque jour que Carson passe au gouvernail de l’Icarus à sa place lui laisse un goût âcre de défaite, alimente un peu plus sa rage et la promesse d’une sanglante revanche sur ce traître et tout son équipage. Il ne vit que pour le moment où il les aura à sa merci. Le feu qui gronde en lui ne laisse guère de place pour autre chose ; il consume et dévore, ne laissant que des cendres derrière.
La rue, bien qu’animée, ne retient pas son attention. Son regard survole les passants sans les voir, il entend des bribes de conversation sans les écouter. Le monde continue à tourner autour de lui, indifférent à ses états d’âmes. Un léger rictus se dessine sur ses lèvres à cette pensée, et il s’apprête à tourner les talons quand il l’aperçoit du coin de l’œil. Ce n’est d’abord qu’une illusion. Un fantôme parmi tant d’autres, conjuré par son esprit pour le hanter et le narguer. Mais la figure ne disparaît pas cette fois, se faisant au contraire plus tangible, plus distincte tandis qu’elle approchait sans le voir.
Ses instincts prennent le relais, et son cerveau n’a pas le temps de dicter que déjà son corps se meut en direction de l’étranger toujours inconscient du danger. Il ne retient pas son poing qui part tout seul et profite de ce que l’homme soit temporairement sonné pour le traîner sans ménagement en direction d’une ruelle avant de le plaquer avec force au mur. Ses yeux se plissent avec férocité alors qu’il s’approche et dévisage la crapule qui lui fait face, envahissant agressivement son espace personnel.
«
Fox. »
Le mépris qui coule des mots, la colère qui émane par vagues de son être tout entier. Jones n’est que fureur en cet instant, une fureur écrasante, aveugle et sourde à toute raison. Il se souvient bien de ce visage. Fox n’était autre que la vigie de l’Icarus. L’est probablement encore, sous le commandement de Carson. Qu’il avait contribué autant que les autres à mettre à la tête du navire lors de la mutinerie qui s’était achevée par l’exécution sanglante de Rife. Le regard flamboyant de haine, il laisse à l’autre quelques secondes pour reprendre ses esprits, comprendre sa situation. Réaliser à qui il a affaire. Il attend de voir la recognition s’afficher sur ses traits avant d’offrir un sourire qui n’en est pas un, trop armé de dents et dénué de toute jovialité. Les pieds de l’autre homme touchent à peine le sol, et Jones raffermit un peu plus sa prise sur sa nuque, déjà prêt à le broyer de la poigne de sa main, l’autre crispée avec force sur le pommeau de son sabre.
«
Une dernière volonté ? »
Non pas qu’il ait l’intention de la réaliser. A vrai dire, il espère une insulte ou des supplications, peut-être même des coups, quelque chose qui alimentera sa rage et rendra plus satisfaisante sa revanche. D’une façon ou d’une autre, Fox ne vivra pas pour connaître un autre jour. Même s’ils n’étaient pas isolés des regards dans cette ruelle sombre, personne à Tapioca ne s’arrêterait pour venir en aide à un autre. Son cadavre ne serait qu’un de plus retrouvé au petit matin, une querelle qui aurait mal fini de plus, une histoire aussi vite oubliée qu’apparue. Et certes, ce n’est pas là son principal ennemi, loin s’en faut, mais c’est un début, et si Fox est là, le reste de l’équipage de l’Icarus n’est probablement pas loin. Peut-être que son heure est arrivée, finalement.
₪ Nathaniel & Jedediah ₪